mardi 12 février 2013

Ecoquartier Adelshoffen: un vrai pôle urbain pour Schiltigheim ?

Cette semaine le maire de Schiltigheim, Raphaël Nisand, a posé la première pierre d'un quartier très emblématique, le plus grand événement urbain de la ville depuis près de 50 ans.

L'ancienne Brasserie Adelshoffen rasée est devenue friche, et sa situation très centrale était l'opportunité d'en faire un pôle urbain. L'agence strasbourgeoise d'architecture Denu et Paradon, a remporté le concours.

Il s'agit de concilier logements, commerces, nouvelle médiathèque au cœur d'un parc reliant la route de Bischwiller à l'Ouest et le quartier de la gare. Évidemment il est important que le quartier soit exemplaire sur le plan environnemental, et sur ce plan il n'y a rien à redire.

Le projet

 Voici quelques images tirées du site internet de la ville, du projet de Denu et Paradon.

Le long de la route de Bischwiller se succèderont deux bâtiments longs et courbes, appelés à identifier le quartier. Ils seront en retrait pour donner plus de place aux piétons et aux cyclistes sur la voie publique.


Entre ces deux vaisseaux hauts, s'ouvrira une mini "rambla". Terme ambitieux en référence à Barcelone dont la rambla originale mesure plus d'un kilomètre de long. Ce qui caractérise en tout cas une rambla, c'est sa largeur: c'est une rue plus large que la normale, dévolue principalement aux piétons. Cette rambla schilikoise ne mesurera pas plus d'une centaine de mètres de long.


Une autre vue de la rambla, depuis le cœur du parc cette fois. L'intérieure de l’îlot est visuellement moins attrayant, dommage. Quoi qu'il en soit, le rez-de-chaussé de ces bâtiments accueillera exclusivement des commerces, dans le but d'animer les lieux.

Voici maintenant une vue de la partie Ouest du projet. Cette partie est exclusivement réservée aux logements, dans un cadre verdoyant. L'énergie solaire est exploitée au maximum. Quant aux volumes et aux matériaux, ils sont vraiment séduisants. Les logements semblent aussi disposer d'espaces extérieurs tel que des terrasses ou balcons, ce qui est vraiment important en terme de confort de vie. Seul bémol éventuel, le vis à vis: les bâtiments semblent un peu trop rapprochés.


Ci-dessus une vue de la maison à pan de bois qui sera conservée et restaurée, et qui deviendra une brasserie artisanale avec un biergarten au cœur du parc, tout à côté du plan d'eau qui sera l'élément d'agrément central du parc.

Et pour finir, une vue générale du projet: au premier plan à droite, les bâtiments signaux tout en courbes, au centre la rambla donnant sur le parc et les logements, et à gauche une idée de ce que pourrait être la médiathèque à côté de l'église Sainte Famille.

Devenir un centre-ville

Schiltigheim est la première ville de la Communauté Urbaine après Strasbourg, avec plus de 31 000 habitants. Seulement elle n'a pas de centre-ville identifiable. La ville est structurée par deux immenses faubourgs, la route du Générale de Gaulle à l'ouest et la route de Bischwiller à l'Est. Deux faubourgs qui constituent l'essentielle de l'animation schilikoise. Mais aucun lieu central animé. L'objectif de cet écoquartier est d'en constituer un. Et c'est sur ce point que l'ambition semble un peu légère. Le projet fonctionnera, mais il ne va pas assez loin, il est à peine suggestif. Lorsqu'on souhaite un quartier identifié comme le centre névralgique d'une cité, il faut le rendre visible. Le risque, c'est qu'il n'y aura jamais vraiment grand monde, jamais vraiment de l'animation.

Difficile de croire que cette mini rambla suffira pour qu'on se sente dans un pôle urbain, pour qu'on dise: "ici je suis au coeur de Schiltigheim !" La rambla est très courte à vrai dire, et puis les façades intérieures ne donnent pas envie de s'y arrêter. Il n'y a rien à voir. Quant à la rambla, elle s'oriente vers l'Ouest, un peu vaguement. On ne sait pas très bien ce qu'on va trouver en allant au delà de l'îlot de l'écoquartier. On arrive dans le parc et on choisit, à l'intuition. Espérons qu'elle soit bonne !

Dommage de ne pas séquencer la ville, dommage de ne pas jouer avec le contexte: introduire le parc progressivement, créer des points de fuite vers la médiathèque, l'église... Ce quartier sera trop plat. Depuis la route de Bischwiller on sait déjà tout ce qu'on va découvrir. Il n'y a aucune surprise, aucune évolution du paysage. Or c'est un critère élémentaire pour donner de la profondeur à une ville: créer plusieurs atmosphères.

Une ville qui vous marque, c'est une ville qui change très vite d'aspect, de paysage, de morphologie. Une ville qui surprend au détour d'une rue. Strasbourg est une ville appréciée, comme Paris, Venise, Prague et des centaines d'autres, pour cet élément précis. Brasilia, au contraire, fait partie de ces ville monotone sans surprise, car il n'y a pas de séquences.

Au fond, c'est comme un bon film ou un bon roman, la ville. Plus l'intrigue est conservée, plus on a envie d'avancer !

Analysons le plan:



A droite, le front urbain, avec ses deux immeubles courbes. Entre les deux, de droite à gauche, la rambla. A gauche, les logements nichés dans le parc. Au centre, le parc avec le plan d'eau bordée par le Biergarten à sa droite. En bas, le polygone gris clair représente la future médiathèque à côté de l’église. Le parvis entre les deux édifices doit recevoir un traitement de place, les mettant en valeur. Un chemin nord-sud parcoure le parc de bas en haut.

L'idée de l'espace public est claire, c'est un lieu qu'on traverse. Les cheminements sont directs, sans séquences.


Voilà à présent un exemple d'aménagement qui rythme l'espace, sans pour autant compliquer les cheminements. L'aménagement est basé sur la proposition de Denu et Paradon, pour se repérer plus facilement, en lui apportant simplement des "séquences urbaines". L'idée est qu'en s'y déplaçant, le paysage évolue. Ce qui n'est pas le cas dans le projet en chantier dont on devine tout depuis la route de Bischwiller.

On peut identifier 3 grandes séquences :

1 - toujours un front urbain le long de la route de Bischwiller, haut, puissant, muraille du parc. Les lignes sont simples et s'inscrivent dans le mouvement des flux de la route. Les bâtiments en courbes du projet Denu et Paradon correspondent très bien. Ci-dessus, projection des volumes.

2 - le front urbain s’ouvre et laisse découvrir un nouvel espace. La rambla, espace sans véritable identité, est remplacée par une vraie place. En Alsace, le soleil est bas, surtout en hiver. Alors, pour favoriser l'ensoleillement les jours où il fait beau, il faut élargir les lieux publics. Tant que des arbres viennent modérer un soleil d'été trop fort. La place reçoit donc un alignement d'arbres dans sa partie potentiellement la plus ensoleillée. C'est là qu'on peut sans mal imaginer des terrasses de cafés restaurants et bars. La rambla, moins ensoleillée (au printemps et en automne), véritable corridor venteux, sera moins agréable. Sur une vraie place, on peut imaginer par exemple une belle fontaine, un terrain de pétanque près des terrasses...

 L'échelle est plus humaine, les façades moins monumentales. Elles répondent désormais au parcellaire voisin. C'est une vraie place de ville, les façades sont variées, il y a un jeu, un rythme, de l'animation visuelle.




 
Le vieux Strasbourg renferme une référence évidente, une référence qui est indéniablement un lieu de vie urbain, un lieu dans lequel on aime être et passer un moment, peu importe la qualité du bar ou de restaurant: la place du Marché Gayot.

 source:http://www.geolocation.ws/v/P/12063712/strasbourg/en




Le quartier de Sluseholmen à Copenhague (ci-dessus) est un exemple de l'architecture d'immeubles redimensionnés à l’échelle de la cellule familiale. C'est la place du Marché Gayot telle qu'on la conçoit aujourd'hui. Ce modèle que nous avons pourtant utilisé durant des siècles, est complètement inconnu dans la CUS contemporaine. C'est un modèle qui représente la ville dans sa diversité, dans sa richesse. Dans un espace piéton, c'est un modèle qui donne envie de découvrir chaque façade. Ce modèle rythme et ponctue la place.


Le point de fuite est maîtrisé, la place est presque fermée. Elle ne s'ouvre que sur un côté évident. Sur ce côté, un objet attire le regard, il invite à s'approcher. On a envie de savoir ce qu'il y a, au delà de la place !

3 - Cette place fermée très urbaine, s'ouvre sur un nouvel espace, plus vaste, plus ouvert, avec des perspectives vers des éléments structurants: parc, plan d'eau, médiathèque, église, logements Ouest...




Elément nouveau: l'installation potentielle d'un marché couvert, bien au centre de l'îlot, pour attirer les schilikois au cœur du quartier. Ce marché se trouve sur une seconde place, semi ouverte sur le parc reliée à la première par un large passage. Un marché couvert est un lieu polyvalent, on imagine aisément son utilisation en été, au bord du plan d'eau.

Le marché couvert est le quadrilatère bleu au centre de la zone clair. Sa structure est légère et ses espaces sont très modulables.


Sur cette vue des volumes, on a la ville qui s'ouvre sur le parc, une vraie orientation vers le sud, l'ensoleillement et le prolongement du centre ville (médiathèque, église, hôtel de ville, commerces...). L'ensemble des façades entourent le plan d'eau, une place qui n'a pas son pareil dans la CUS.



Une dernière vue de la place depuis l'ouest de l'îlot en direction le la première place et de la Route de Bischwiller.

On a bien là une ambiance différente de la première place. On a aussi un projet moins vague, plus orienté, structuré par son contexte. Créer une seconde place distincte bien au centre de l'îlot, permet de basculer le centre névralgique au cœur du projet, de créer une vraie centralité, ce qui n'existe pas dans le projet de Denu et Paradon.




On amène l'activité à se développer en trois endroits: la route, la place, et la seconde place. 3 lieux identifiables, 3 lieux différents mais reliés simplement. Dans le projet retenu, seule la route et l'entame de la rambla auront une certaine animation. C'est tout !

Les premiers coups de pioches sont donnés, le projet ne pourra plus évoluer, mais l'exemple est bon pour montrer que l'intention de créer un pôle urbain est trop superficielle. L'alternative proposée n'est qu'une exemple parmi d'autres pour concrétiser cette idée de ville rythmée. Le rythme urbain est primordial, structuré par des entités urbaines identifiables comme les places.

Le rythme c'est l'articulation des volumes, des pleins, des vides, mais c'est aussi un travail sur les façades.

L'idée finale pour illustrer ces propos, c'est de se dire que par exemple, l’événement estival phare schilikois, la fête de la bière, aurait pu se déployer sur ce projet. On sent que la double place du projet alternatif aurait pu accueillir un détachement des animations. Le projet de Denu et Paradon en revanche, rend cette tâche moins instinctive ! Lorsque le projet sera achevé, je prédis que la fête de la bière n'évoluera pas.

Il ne s'agit pas d'en faire un lieu de foire, mais de permettre de l'animation, c'est ce qu'on appelle une place publique. Créer des lieux de ville qui semblent être fait pour être des lieux fédérateurs, des lieux de rassemblement festifs, quand on en a besoin. Un lieu qui permet la fête, mais qui donne aussi envie d'y faire la fête, parce que l'ambiance s'y prête. Aujourd'hui, c'est la place de la mairie qui tient ce rôle, par défaut. Une place qui n'est pas très accueillante, une place difficile à comprendre et à apprécier. Elle accueille cette fête parce que c'est la seule place centrale, mais pas parce qu'on s'y sent bien.

Cette place est d'ailleurs plus un vide qu'une place, les bâtiments la formant lui tournant le dos.

Et la configuration du projet en construction ne crée pas cet espace manquant, difficile d'identifier le lieu comme place publique, et la curieuse et désagréable place de la mairie sera pour longtemps encore la seule place de Schiltigheim, à défaut d'une vraie ! 

Alors à la question de la création d'un centre-ville, on peut dire que Schiltigheim aura un nouvel espace piéton avec des commerces, en relation avec un nouveau parc. De là à dire que ce lieu exercera le poids d'un lieu central de vie urbaine, je pense que ça ne le sera pas plus que d'autres opérations, tel que Futura, ou le quartier de la mairie. Un projet sans réel impact dont le parc en été sera le seul lieu animé, et ça, ce n'est pas fait exprès !

Je pense que les employés qui travaillent dans ce secteur auraient pu souhaiter un lieu contemporain avec enfin des terrasses et des restaurants, pour se poser, quelques minutes sous un soleil printanier. Là, il n'y aura que le Biergarten, et pas d'alternative. Tant pis. Il reste les Brasseries Fischer et Schutzenberger... 

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